Dans Mémoire de garçon, l’auteur nous plonge dans le roman d’une vie, celle d’un fils d’ouvriers des campagnes françaises, traversant les années 70, 80 et 90 avec le regard lucide d’un enfant de la République. À travers son récit intime, il capte une époque et esquisse un portrait émouvant de la France rurale et ouvrière, celle qui rêvait d’ascension sociale, de culture et d’émancipation, tout en portant le poids de ses origines.
L’écriture, d’une clarté limpide et d’une sincérité désarmante, oscille entre la précision sociologique et la délicatesse littéraire. Les scènes de la vie quotidienne, à la maison, au lycée ou à l’usine, sont restituées avec une justesse saisissante. L’humour se glisse en filigrane, offrant un contrepoint léger aux moments les plus graves. On devine derrière chaque phrase l’influence d’Annie Ernaux, mais aussi celle de Pierre Bourdieu : une volonté de relier l’intime au collectif, le vécu à l’analyse.
Le choix d’une narration chronologique est judicieux. Chaque chapitre est une étape marquante : l’enfance dans une maison inconfortable mais pleine de vie, l’effervescence politique des années Mitterrand, les luttes étudiantes ou encore les premières désillusions amoureuses. Ce parcours initiatique, à la fois personnel et générationnel, trouve son apogée dans la fierté des parents, témoins de l’ascension de leurs enfants.
La galerie de personnages brille par son authenticité. Yves et Nicole, les parents, incarnent une génération façonnée par le travail acharné et les sacrifices. Jean-Luc, Véronique et Angélique, les frères et sœurs, symbolisent la diversité des trajectoires au sein d’une même fratrie. Mais c’est surtout dans les figures secondaires, comme M. Fichte, l’instituteur passionné, ou Alain M., le marxiste érudit, que le roman trouve une profondeur universelle. Ces personnages, bien que parfois esquissés, résonnent comme des archétypes de la France des Trente Glorieuses et des premières fractures sociales.
Mémoire de garçon n’est pas qu’un récit personnel : c’est aussi une réflexion sur l’époque. La lutte des classes y est omniprésente, tout comme la quête de mobilité sociale. Le texte explore les espoirs soulevés par l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, la désillusion face à la violence policière, ou encore les tensions entre traditions familiales et modernité. Mais il ne sombre jamais dans le didactisme. L’analyse sociale se fait par petites touches, subtilement intégrées dans les anecdotes de la vie quotidienne.
L’écriture est portée par une nostalgie lucide : celle d’un monde où la solidarité et les aspirations collectives semblaient encore possibles. L’auteur ne masque pas les contradictions de cette époque, ni les siennes. Il interroge autant qu’il raconte, nous invitant à réfléchir sur ce qui a changé – ou non – depuis.