"Machine-École" de Jean-Marc ROBIN : quand la fiction de 2020 éclaire la politique de 2025
Par un heureux hasard ou une inquiétante prémonition, le roman Machine-École, publié en 2020, semble avoir anticipé avec une étonnante précision des aspects clés de l’actualité politique de 2025. Au croisement de la dystopie technologique et du thriller politique, l’œuvre de Pierre-Henri Dekker (pseudonyme ou nom du narrateur ?) ne cesse de résonner dans le contexte mondial actuel.
Une démocratie manipulée par la technologie
Les élections présidentielles américaines et européennes de ces dernières années ont été marquées par une montée en puissance des géants de la technologie dans les processus démocratiques. À l’instar de Gogol dans Machine-École, ces entreprises ont démontré leur capacité à contrôler le flux d’information, influencer les perceptions des électeurs et parfois même manipuler les résultats indirectement.
Dans le roman, l’entreprise Gogol incarne une entité omnisciente, infiltrant les ordinateurs des journalistes, manipulant les sondages et intervenant directement dans la campagne présidentielle française. Ce scénario, que l’on aurait pu croire exagéré en 2020, trouve un écho inquiétant dans les révélations récentes sur le rôle des algorithmes dans la polarisation des débats publics et le ciblage des électeurs indécis. Les scandales autour de l'IA générative utilisée pour créer des contenus politiques truqués renforcent l'idée que Machine-École avait perçu une dérive naissante.
L’opposition peuple-élites : une fracture politique centrale
Un des grands thèmes de Machine-École est l’antagonisme croissant entre le peuple et les élites, particulièrement les diplômés du supérieur. À travers le personnage de Fabrice Raffin, représentant d’une France populaire désabusée, et Pierre-Henri Dekker, figure des élites technocratiques, le roman explore les tensions sociopolitiques qui traversent les sociétés contemporaines.
Aujourd’hui, cette opposition est au cœur des débats politiques. Les "gilets jaunes", dans le roman comme dans la réalité, symbolisent une France des oubliés, des petits salariés, artisans et retraités vivant dans les zones rurales et périurbaines. Face à eux, une classe dirigeante, urbaine et éduquée, incarne non seulement le pouvoir mais aussi une forme d’idéalisme méritocratique qui peine à comprendre les frustrations de la majorité.
Ce clivage est exacerbé par les transformations économiques et technologiques : le roman met en lumière la manière dont les "élites" captent les bénéfices de la mondialisation et des avancées scientifiques, tandis que le "peuple" ressent ces changements comme une menace à leur mode de vie. La victoire de Dekker dans le roman, largement portée par les cadres, entrepreneurs et diplômés, illustre cette domination des classes supérieures qui semblent dicter l’agenda politique sous couvert d’un progressisme technologique.
Une fracture sociale et culturelle toujours d’actualité
Le roman montre également que cette opposition n’est pas seulement économique, mais aussi culturelle. La France des élites se voit comme le gardien de la raison, du progrès scientifique et des valeurs universalistes. À l’inverse, la France populaire, décrite comme attachée à ses traditions et à un mode de vie localisé, est souvent perçue comme archaïque par ses adversaires.
En 2025, ce fossé culturel est toujours palpable : dans les débats autour de la transition écologique, des politiques migratoires ou de l’éducation, les visions du monde divergent radicalement entre ces deux France. L’idée, avancée par Dekker dans le roman, que seuls les "talents" et les "têtes bien faites" doivent gouverner, reflète une tendance contemporaine où la méritocratie devient un prétexte pour délégitimer les aspirations démocratiques des classes populaires.
L’école, terrain de lutte pour le contrôle social
L’opposition peuple-élites trouve une matérialisation directe dans les réformes éducatives de Machine-École. L’école neuronale, avec ses dispositifs high-tech et son "élève augmenté", incarne l’idéal d’une élite qui valorise la productivité et l’efficacité au détriment des valeurs traditionnelles de l’éducation.
Dans un contexte où l’accès aux meilleures écoles et universités est de plus en plus conditionné par des moyens financiers et des réseaux sociaux, l’éducation devient un outil de reproduction sociale. La fracture entre les diplômés du supérieur et les autres, exacerbée par les transformations technologiques, illustre comment l’école peut renforcer les inégalités qu’elle prétend combattre.
Un roman prophétique ou un miroir déformant ?
Ce qui rend Machine-École si pertinent aujourd’hui, ce n’est pas seulement sa capacité à refléter les dynamiques contemporaines, mais aussi à poser des questions essentielles :
- Jusqu’où les technologies peuvent-elles façonner nos démocraties ?
- Comment réconcilier les aspirations populaires avec les visions des élites ?
- L’école peut-elle encore jouer un rôle dans la réduction des inégalités sociales ?
En dépeignant une France divisée, aux prises avec ces dilemmes, Machine-École invite à réfléchir sur le monde que nous voulons bâtir. L’opposition peuple-élites, loin d’être une simple question de classes, devient une problématique existentielle pour les démocraties modernes.
"Machine-École" ne prédit pas l’avenir ; il montre simplement que nous vivons déjà dans sa dystopie.