Jean-Marc ROBIN

Auteur (romans, récits, théâtre et essais)

« Recoudre » de Jean-Marc ROBIN, une comédie dramatique qui met le couple à l’épreuve du réel

Publié le 31 Octobre 2024, 15:26pm

Catégories : #théâtre

« Recoudre » de Jean-Marc ROBIN, une comédie dramatique qui met le couple à l’épreuve du réel

La pièce s’intitule Recoudre, et déjà le verbe annonce la couleur : il sera question de rafistolage affectif, de soin porté à des liens distendus. Sur la scène, Héloïse et Émile, un couple de sexagénaires, se disputent, s’aiment, s’admonestent, se rabibochent. La trame, a priori simple – un anniversaire de soixante ans, une famille que l’on attend, un ancien élève invité pour l’occasion – sert de prétexte à une série de joutes oratoires où la dimension sociopolitique n’est jamais loin. À travers des dialogues vifs et parfois piquants, Recoudre explore nombre de thématiques : la place de la femme, l’homophobie ordinaire, les tensions intergénérationnelles, ou encore l’éducation et la culture face aux mutations contemporaines.

Un huis clos familial et intellectuel

Les huit scènes de la pièce se déroulent presque intégralement au domicile du couple, transformant la salle à manger en arène idéologique. Madame (Héloïse), professeure de philosophie, incarne un progressisme parfois féroce, multipliant les références à l’émancipation féminine, à l’écologie, ou à la liberté de chacun d’assumer son identité de genre. Monsieur (Émile), libraire sur le point de partir à la retraite, se veut plus sceptique, parfois cynique ; il dénonce pêle-mêle la « démocratie du bien-être », l’hygiénisme, ou la montée en puissance d’Amazon qui asphyxie les petites librairies de province.

Le public est invité à assister à leurs passes d’armes, tantôt légères et badines, tantôt plus virulentes : chaque sujet – de la place de la table (ronde ou rectangulaire) à la question du départ des enfants – devient prétexte à une véritable dissertation de salon. La parole fuse, sans toutefois sombrer dans la caricature, car derrière chaque tirade perce une tendresse mutuelle et un besoin de renouer.

Des personnages secondaires révélateurs d’une époque

Jules et Lucie, les « enfants » du couple recomposé, n’apparaissent qu’une seule fois sur scène, mais leurs échanges dans la voiture annoncent déjà l’inéluctable choc familial. Séparations, pressions financières, doutes amoureux : l’expérience de cette génération quadragénaire forme un miroir, parfois cruel, des idéaux parentaux. Autre clé de lecture : l’absent-présent Maximilien, ancien élève d’Héloïse, censé se joindre au repas, qui incarne à la fois l’ouverture et l’évolution de la société. Par son chemin de transition de genre, il interroge plus frontalement encore la tolérance d’Émile, écartelé entre ses principes intellectuels et ses réactions viscérales.

Des joutes verbales à la hauteur de leur ambition

Au fil des scènes, la tension est maintenue par une écriture qui mêle humour et clins d’œil philosophiques ou sociologiques (on croise au détour d’un dialogue Bourdieu, Foucault ou encore Rousseau). Les propos se font parfois démonstratifs : on sent l’auteur(e) soucieux(se) de confronter des visions du monde, d’aborder les crispations de notre époque : la pandémie de Covid-19, l’ubérisation de la société, l’emprise du numérique sur la lecture, la remise en cause du métier de professeur. Cette densité de thèmes, exposés en une poignée de scènes, peut donner l’impression, par moments, d’une certaine surabondance argumentative. Mais la pièce sait ménager, ici ou là, des respirations plus intimes : qu’il s’agisse d’une lettre d’excuse maladroite, d’un monologue solitaire devant la machine à coudre ou d’une confession pudique sur la sexualité à l’automne de la vie.

Une fin en demi-teinte, empreinte de poésie

Le dernier tableau, clôturé par un appel téléphonique et un départ précipité pour secourir les enfants, laisse place à une forme d’incertitude : la fête promise sera-t-elle à la hauteur ? Le masqué dansant d’Héloïse sur les notes d’Aznavour confère à ce final une note presque onirique, comme un voile pudique posé sur les fêlures du couple. Le spectateur ressort à la fois diverti et interpellé, avec le sentiment d’avoir partagé un instant de vie conjugale où se mêlent crises sociétales et affection profonde.

Une pièce pour réfléchir et sourire

Recoudre ne prétend pas révolutionner le théâtre : elle s’inscrit plutôt dans la tradition d’une comédie dramatique intimiste, aux accents parfois sociaux. Son originalité tient dans la façon dont elle traite, avec légèreté et lucidité, de sujets d’actualité, sans sacrifier l’émotion intime des protagonistes. Le titre annonce un programme ambitieux : réparer et réunir. Entre deux piques acerbes, la tendresse finit toujours par reprendre ses droits. C’est cette oscillation constante entre ironie et bienveillance qui donne à la pièce son charme si particulier. Et si l’on concède qu’elle reste parfois un brin bavarde, l’enthousiasme des personnages, l’humour de leurs échanges et la sincérité de leurs questionnements l’emportent largement.

En définitive, Recoudre s’affirme comme un reflet acidulé de notre époque, où la cellule familiale, loin de se refermer sur elle-même, devient l’espace privilégié pour débattre, aimer et — espérons-le — recoudre les liens fragilisés par les tumultes du monde.

 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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